Reconstitution des bords du lac
d'Aix-en-Provence à l'époque oligocène (environ 27 millions
d'années).
Gaston de Saporta a représenté des palmiers-éventails,
un bananier, des dra-gonniers aux feuilles en glaive; dans l'eau, des nénuphars.
Il a trouvé aussi divers pins, des lauriers, des camphiers, des canneliers
et des traces d'une flore de région plus froide qui devait vivre sur
les pentes.
Il compare ces flores à d'autres flores fossiles et peut aligner côte
à côte par exemple les dessins successifs de feuilles de lierre
ou de feuilles de laurier. Avec des modifications légères que
le changement des circonstances peut expliquer (température, humidité,
sol), il constate une continuité dont le terme est l'espèce actuelle.
Ainsi à travers toute l'ère tertiaire, par retouches insensibles,
un type de plante aboutit à ce que nous avons sous les yeux. C'est la
preuve qu'il n'y a pas eu de Révolutions du Globe.
On arrive ainsi à l'idée que le monde vivant n'est pas immuable
- le fixisme, cher à Linné, ne peut plus être défendu
-mais dans une mouvance continue qui, au cours des temps géologiques,
fait apparaître diversité et complexité croissante. C'est
le transformisme. \
Un auteur va plus loin, c'est^Darwin. Dans son ouvrage de 1859, l'Origine des
espèces, il a constaté sur de nombreux exemples l'évolution
et proposé une théorie explicative. Ces transformations seraient
dues à une série de hasards, jouant dans l'espèce comme
entre les espèces, où ne seront retenus que les individus les
plus aptes.
Certains survivent parce qu'ils ont la force, d'autres parce qu'ils sont plus
agiles ou qu'ils peuvent se dissimuler
aux yeux de leurs ennemis. Toute varia
tion favorable est ainsi sélectionnée et,
dans cette jungle, ne restent que ceux
qui possèdent un avantage. L'aventure
commencée avec des êtres microsco
piques s'est développée pendant des mil
lions d'années et se poursuit sans finali
té. \/
L'homme lui-même est le résultat de cette évolution dans
l'ordre des Primates, ce qui vaudra à Darwin de lourds sarcasmes. C'est
pour ce dernier point, une hypothèse hardie car on r/a encore trouvé,
dans la vallée de Néanderthal, qu'une calotte crânienne
au front fuyant et aux arcades sourcilières proémi-nantes, et
certains n'y ont vu que les Restes dWihd|vidu dégénéré.
Gaston de Saporta a des convictions religieuses trop profondes pour accepter
une vision dtHom^serait parti^djft^fïéant pour s'avancer vers l'inconnu.
Selon l'excellente formule de l'auteur qui a publié l'échange
de correspondance avec Darwin, il se joint à ceux qui sont "intellectuellement
séduits par Darwin, scientifiquement convaincus par le transformisme,
mais affectivement angoissés par le darwinisme".
Déjà, avec la découverte d'un passé très
long, on a pensé transformer en pé-
riodes les jours de la Création, mais Gaston de Saporta refuse l'aventure
aveugle ne se développant que par la concurrence acharnée et la
survivance du plus apte. Dans la montée progressive vers la complexité
il voit au contraire la réalisation d'un plan méthodiquement conçu
se développant sur des myriades de siècles (expression du XIXème
siècle, dont le million d'années est l'équivalent).
Il y a une autre point qui a beaucoup retenu son attention, sans avoir cette
fois de prolongement métaphysique, c'est la question des climats.
Les végétaux qui bordaient le lac d'Aix appartiennent à
une flore de région chaude; ce sont des espèces parentes des palmiers
éventails, des bananiers, des camphriers, des dragonniers, dont l'équivalent
vit aujourd'hui aux Iles Canaries et dans les régions humides de l'Afrique.
Les flores des gisements plus récents perdent peu à peu ces espèces
dont on ne retrouve les descendants qu'au-delà de la Méditerranée.
Sur l'Europe s'installe une végétation de région tempérée
qui semble, parallèlement être descendue du nord.
La terre se refroidit-elle? Le feu central aurait-il entretenu une température
tropicale à la surface du globe puis, un jour, commencé un déclin
graduel? Pourtant, il semble que la température de surface ne dépende
que du soleil.
Et comment les plantes des régions nordiques, avec un climat tempéré,
auraient-elles pu vivre dans une alternance de 6 mois de jour et 6 mois de nuit?
L'axe de rotation de la Terre n'aurait-il pas toujours eu la même inclinaison?
Le pôle se serait-il déplacé?
Aucune de ces hypothèses ne peut recevoir un début de confirmation
et le XIXème siècle s'achèvera sans qu'on ait trouvé
de réponse. Elle viendra au XXè-me siècle et j'imagine
la joie intellectuelle qu'aurait eue Gaston de Saporta avec une explication
qui s'hamonisait avec ses études minutieuses. Personne n'avait alors
pensé que les continents pouvaient se déplacer à la surface
de la planète.