Fig.7 Orjol gardois - XIXème
siècle.
Dans les ateliers de l'arrière pays marseillais par contre, la cruche
devient piriforme et se dote d'anses bien dégagées, aspect qu'elle
gardera jusqu'à cessation de sa fabrication à caractère
utilitaire. Les manufactures de Saint-Zacharie proposent même deux variantes
de la même forme générale appelées respectivement
forme Marseille et forme Miramas.
Dans le Languedoc, la dore a voit son col grandir et s'évaser, le bec
tabulaire devient important, parfois courbe, l'anse latérale opposée
au bec se renforce et une deuxième et forte anse relie la lèvre
au bec permettant une préhension à deux mains ou le passage d'une
cordelette de suspension. L'ensemble laisse l'embouchure largement dégagée
à la fois pour le remplissage et l'obturation. Dénommé
en langue d'Oc ourjôu, cette forme de poterie est connue dès le
XVIIème siècle dans les ateliers du Lauraguais ou du Rousillon.
Mais au siècle précédent, dans la moyenne vallée
de l'Hérault, le qualificatif d'orjolier distingue déjà
certains potiers de terre du collectif oulier qui désignera plus particulièrement
les tourneurs de marmites.
L'orjol prendra lui des dimensions
considérables, spécialement dans le dernier siècle de sa
fabrication à caractère utilitaire, et sa panse servira de support
à des effets décoratifs d'engobes de la part des potiers lauraguais
ou catalans. Comme pour les pichets et pour les cruches, quatre couleurs sont
inscrites au catalogue des potiers : le brun-rouge, le miel transparent, un
jaune plus opaque et le vert; l'application d'effets décoratifs bleus
ne paraît pas antérieur au siècle dernier. Si les productions
lau-raguaises et gardoises restent massives (Fig.7), la moyenne vallée
de l'Hérault a produit des orjols assez élégants, parfois
de forme élaborée. En Catalogne, une forme d'orjol est appelée
doll de Ca-daquès, poal de Figueres ou cantir de quart. Il est très
semblable à un modèle bittérois caractérisé
par des anses de panier dominant de part et d'autre un col très court.
10cm
Fig.8
Pichet de barque
de la moyenne vallée de l'Hérault.
Une variante d'orjol est le pichet de barque dont l'aire de production semble
réduite à l'arrière pays sétois, à l'estuaire
du Rhône, à l'arrière pays marseillais et, au XVIIème
siècle, à Fréjus. Bien que faisant partie du mo-
bilier des riverains des voies navigables, le pichet de barque paraît
réservé à la navigation (Fig.8).
La forme du pichet est connue du monde romain; mais, à l'époque,
il était réservé à l'usage de la table, le transport
de l'eau se faisant dans des poteries plus importantes, généralement
en forme d'amphore. Par contre, la cruche et l'orjol sont des formes plus particulières;
fixer leur apparition vers le XVIème siècle semble une hypothèse
bien fondée : ces ustensiles nouveaux sont à mettre en relation
avec un développement de la distribution de l'eau publique; à
la même époque, il n'est en effet pas rare de voir certains potiers
qualifiés de fontainiers et on constate une augmentation importante de
la fabrication et de la pose de conduits en terre cuite destinés à
l'alimentation des fontaines depuis des sources souvent éloignées.
Ce sont ces facteurs divers qui ont conduit à la fermeture des manufactures
de poteries utilitaires en Provence et en Languedoc, mais, en particulier le
tournage des pichets, cruches et orjols a décliné avec l'apparition
de matériaux plus robustes, plus légers, plus "modernes"
dont la fabrication mécanisée baissait le prix de revient alors
que celui des produits manufacturés augmentait; de plus, l'arrivée
de l'eau courante dans la cuisine de la ménagère avait rendu le
déplacement à la fontaine inutile. L'ensemble des causes qui avait
amené la conception de la cruche et de l'orjol en terre cuite est, par
un nouveau progrès, cause de leur disparition. Le broc en fer émaillé
ou en aluminium a remplacé le pichet; l'arrosoir en plastique fait office
de cruche ou d'orjol tout en jouant un rôle au jardin. Ce n'est plus qu'à
un caractère touristique et décoratif que l'on doit une reprise
essentiellement folklorique et romanesque du tournage des pichets, cruches et
orjols en terre vernissée.
François Carrazé
Centre Louis Rostan
Saint-Maximin-la-Sainte-Baume